Projet scientifique

Ce groupe de travail se donne pour objectif d’élucider les manières de (se) représenter la guerre, tant au travers des élaborations philosophique et éthique qu’au moyen de l’exploration des systèmes divers de représentation : comment le droit formule la guerre pour la limiter, comment les sociétés se racontent leur propre conflictualité, comment l’art propose une manière non conceptuelle de penser la guerre en la montrant, comment envisager une « expression » de la guerre. Il s’agit d’interroger le lien entre la pensée systématique de la guerre, telle qu’on peut la trouver dans les traités, et les manières de la figurer et de la faire ressentir.


Le premier pas de toute recherche sur la guerre est celui qui consiste à la définir. La pensée engage ensuite un ordre de réflexion et de représentations, de références plus ou moins normatives. La vision de la guerre de Machiavel ou de Hobbes n’est pas la même que celle de Rousseau, et non pas seulement pour des raisons historiques. Tous trois la mettent différemment en scène et en forme, ce faisant ils recourent à des images. La création de modèles de réflexion sur la guerre recourt, implicitement ou explicitement, à des formes et des figurations ; toute guerre se pense en référence à une guerre passée mais peut-être aussi à une guerre imaginée, représentée, ou reconstruite. Machiavel milite pour substituer à la guerre mercenaire une guerre de citoyens, il compare la Rome ancienne et la Florence contemporaine tout en inventant un art de la guerre peuplé de « personnages conceptuels » ; les souvenirs et images de la guerre civile anglaise hantent le Léviathan ; Rousseau impose péremptoirement de fermer tous les livres pour ouvrir les yeux sur la guerre au-dehors, alors que lui-même pose un modèle de guerre exclusivement interétatique. De même, George Orwell ou Marc Bloch engagent une pensée de la guerre dès lors qu’ils la présentent, la racontent, la formulent, voire la vivent. Qu’en est-il alors de ces « images philosophiques » ? Quelle est la part de l’invention, de l’imagination, du témoignage et de la réflexion dans les œuvres de Delacroix, de Guibert ou de Cendrars ? Qui s’aventurera à nier que Stanley Kubrick est aussi un penseur de la guerre ? Comment Claude Simon parvient-il à faire ressentir au travers de son œuvre son expérience de la guerre ?


Le groupe de recherche se donne pour problème fondamental le rapport entre le concept et l’image, entre la présentation et la représentation dès lors qu’on ne les oppose plus systématiquement, mais aussi entre la description de la guerre comme événement et l’expression de l’expérience vécue. L’opposition entre le document et la fiction n’est plus tenue pour évidente, et la conversion de la perspective permet une nouvelle approche du rapport entre l’universel et le singulier. En témoignent des avancées, que l’on peut dire philosophiques, qui, par exemple, s’appuient sur la littérature pour échafauder des réflexions éthiques (Martha Nussbaum), des productions artistiques qui recomposent la géographie de la guerre (Jananne Al-Ani), des travaux photographiques à la lisière du reportage et de la mise en scène qui interrogent les réminiscences et reprises d’une guerre en particulier (Émeric Lhuisset). Il s’agit ainsi de considérer la pensée comme une plastique, et de ne pas s’en tenir à un chemin unilatéral qui irait de la guerre en général à telle guerre en particulier, ou vice versa, mais bien de reprendre le problème de la guerre à partir de ses représentations. Nous faisons ainsi l’hypothèse méthodologique de départ que la connaissance de la guerre ne saurait se limiter aux élaborations discursives et théoriques mais sera augmentée d’une réflexion générale sur ses représentations.

 

Responsables du groupe de travail

Ancienne élève de l’École Normale Supérieure (Ulm), agrégée de philosophie, docteure en philosophie et habilitée à diriger les recherches, Ninon Grangé est Maître de Conférences au département de philosophie de l’université Paris 8 et au Nouveau Collège d’Études Politiques. Elle co-dirige le LLCP (Laboratoire d’étude sur les Logiques Contemporaines de la Philosophie), et est associée au CERPHI (Centre d’Étude en Rhétorique, Philosophie et Histoire des Idées). Elle est membre fondateur du groupe Krisis qui étudie la pensée internationale de Weimar. Elle a publié De la guerre civile (Armand Colin, 2009), Oublier la guerre civile ? Stasis, chronique d’une disparition (Vrin-EHESS, 2015), L’urgence et l’effroi. L’état d’exception, la guerre et le temps politique (ENS-Éditions, 2018) et a dirigé de nombreux ouvrages sur des auteurs (Günther Anders, Hans Kelsen, Carl Schmitt…).

Contact: ninon.grange (@) wanadoo.fr

Issue de l’École navale (1994), brevetée de l’enseignement militaire supérieur (2010), le capitaine de frégate Audrey Hérisson est officier de l’aéronautique navale. Diplômée de Supaéro (2004), elle s’intéresse depuis quelques années à la philosophie et aux sciences humaines et sociales. Après une licence (2013) et un master (2015) en philosophie, ainsi qu’une licence en anthropologie (2014), elle a soutenu une thèse de philosophie en janvier 2022 : « Penser la guerre : Deleuze, Derrida et Foucault. Variations critiques à partir de trois auteurs de la philosophie française contemporaine » sous la direction de Ninon Grangé. Ses mémoires de master, sous la direction de Christian Lazzeri, Paris 10, s’intitulaient « La « montée aux extrêmes » chez René Girard : une lecture du concept clausewitzien de la guerre » (2014) et « La guerre chez Michel Foucault. Violence, lutte et pouvoir : un dispositif de guerre pour le gouvernement des hommes ? » (2015). Elle est actuellement cadre-professeur de groupe à l’École de guerre, chargée des modules de formation en méthodologies et en créativité. Elle est membre du comité de lecture de la Revue de la défense nationale.

Contact : audrey.herisson (@) orange.fr