Résultats du prix de thèse 2024 de l’AEGES

Le Jury du prix de thèse de l’AEGES, présidé par la professeure Julie Saada, vient de rendre son verdict. Il a attribué le prix de thèse à Damien Accoulon pour son travail intitulé « Les « As » de l’aviation dans les sociétés allemande et française (1914-1939) ».

Il a également décerné deux mentions spéciales : à la thèse de Marie-Gabrielle Bertran, intitulée « La souveraineté numérique en Russie : analyse géopolitique des enjeux et limites de la stratégie de cyber puissance russe », et à celle de Laurène Renaut, portant sur « Le concept d’étrangeté (ghurba) dans la construction identitaire des cyber-militants de l’Etat Islamique. Ethnographie d’une djihadosphère entre 2018 et 2022 ».

La remise des prix a eu lieu lors d’une cérémonie organisée à l’occasion du 7ème congrès de l’AEGES, à Aix-en-Provence, le 19 juin 2025.

Lauréat : Damien Accoulon, « Les « As » de l’aviation dans les sociétés allemande et française (1914-1939) »

Résumé de la thèse : Cette thèse sur Les « As » de l’aviation dans les sociétés allemande et française (1914-1939) s’inscrit dans une histoire renouvelée du fait militaire du début de la Première Guerre mondiale à celui de la Seconde. Elle se situe à la croisée des historiographies : celles de la guerre, de l’aéronautique et des anciens combattants, en langues allemande, anglaise et française. Elle prend en compte les controverses qui ont animé les dernières décennies pour proposer une histoire à la fois sociale et culturelle de la guerre. Au moyen d’une prosopographie des acteurs clés que sont les « As » en France et les « Kanonen » en Allemagne, c’est-à-dire des pilotes qui ont été les plus médiatisés pendant la Grande Guerre, ce travail reconsidère sur le temps long le « mythe de l’expérience combattante » théorisé par George Mosse. L’analyse à la fois quantitative et qualitative permet d’ancrer socialement les représentations de la guerre et d’affiner notre compréhension de la portée de ce mythe dans les sociétés allemande et française. Elle met en évidence l’efficacité relative d’un « capital combattant » selon les contextes.

Agrégé d’histoire, Damien Accoulon a soutenu en décembre 2023 sa thèse en cotutelle entre les universités de Nanterre et de Brunswick (Allemagne) sous la direction des Professeurs Annette Becker et Christian Kehrt. Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Tours, il appartient au laboratoire CeTHiS (UR 6298) où il poursuit des recherches sur l’histoire de l’aéronautique, des guerres et des conflits au XXe siècle.

Mention spéciale : Marie-Gabrielle Bertran, « La souveraineté numérique en Russie : analyse géopolitique des enjeux et limites de la stratégie de cyber puissance russe »

Résumé de la thèse : Ce travail de thèse explore l’évolution des politiques russes en matière de numérique, marquée par un compromis entre les siloviki (organes de force) et les siviliki (proches de Medvedev), qui ont respectivement perçu le cyberespace comme une menace pour la sécurité intérieure de la Russie et une opportunité économique. Dans les années 2010, lors du troisième mandat présidentiel de Vladimir Poutine (post-Medvedev), la vision sécuritaire des siloviki s’est imposée, conduisant à l’adoption d’une politique de « souveraineté numérique » (« cifrovoj suverenitet ») axée sur la sécurité et la surveillance, en réaction notamment aux « Printemps arabes ».

Cette stratégie a ainsi remplacé l’initiative de promotion du « RuNet » de Dmitrij Medvedev, centrée sur le développement économique dans les années 2000, par une approche privilégiant la sécurité informationnelle, puis la cybersécurité et la cyberdéfense. L’usage de « technologies domestiques » (« otečestvennye tehnologii ») présentées comme plus sûres, en particulier après les révélations d’Edward Snowden en 2013, a été encouragé dans ce cadre. Cependant, cette stratégie a aussi été détournée par certains acteurs en fonction de collusions et de pratiques de corruption, qui ont notamment servi à inciter les institutions publiques à acheter des produits faussement labellisés comme russes ou présentés comme sûrs, alors qu’ils présentaient des failles de sécurité parfois majeures. Ce travail montre que ces pratiques sont liées en Russie à l’existence d’un système adhocratique hérité des années 1990, caractérisé par des relations pragmatiques entre services de sécurité et de renseignement publics, acteurs privés et criminels.

La cybercriminalité a été intégrée à ce système au cours des années 2000 et 2010, devenant à la fois un instrument de la cyberdéfense russe et une source de vulnérabilités pour l’État, en raison des dérives et des risques associés à l’usage de programmes offensifs difficilement maîtrisables et aux coopérations entre des services étatiques de sécurité et de renseignement et des cybercriminels aux actions difficiles à contrôler.

Ce travail vise à répondre à deux grandes questions. Comment la Russie déploie-t-elle une stratégie d’influence informationnelle axée sur une utilisation des nouvelles technologies du numérique, mise en œuvre par un écosystème d’acteurs de différentes natures et reposant sur une large typologie de pratiques ? Comment une stratégie pensée comme un outil de promotion de l’image de la Russie a-t-elle évolué jusqu’à devenir une menace sécuritaire majeure en France, où elle entraîne une réponse participant à un phénomène de fragmentation du cyberespace ?

Marie-Gabrielle Bertran est enseignant – chercheur en post-Doctorat au CIENS (École normale supérieure) et chercheur associé à l’IFG-Lab et GEODE (Université Paris 8). Elle a effectué une thèse sur les enjeux géopolitiques liés à la promotion de la souveraineté numérique en Russie et aux politiques de souveraineté numérique mises en œuvre par l’État russe. Ses recherches au CIENS portent sur le continuum entre cybersécurité et cyberdéfense au prisme des manœuvres cyber de la Russie. Dans ce cadre, elle étudie l’usage de cyberattaques contre des infrastructures civiles et militaires par les attaquants russes, suivant une stratégie de déstabilisation des sociétés et des États que les autorités russes présentent (et/ou se représentent) comme des adversaires ou des ennemis.

Mention spéciale : Laurène Renaut, « Le concept d’étrangeté (ghurba) dans la construction identitaire des cyber-militants de l’Etat Islamique. Ethnographie d’une djihadosphère entre 2018 et 2022 ».

Résumé de la thèse : Cette thèse, au carrefour de l’Analyse du discours et des Sciences de l’information et de la communication, interroge le concept théologique d’étrangeté (ghurba) dans la construction identitaire des cyber-militants de l’Etat Islamique (EI).

La recherche repose sur une enquête ethnographique dans la djihadosphère facebookienne, où nous avons observé, incognito, des individus pratiquant le djihad médiatique. Pour investir cette communauté sensible, un protocole – observation impliquante, grille de critères attestant d’une adhésion à l’idéologie djihadiste, méthodologie mixte de recueil des données et cadre éthique – a été élaboré au contact des enquêtés.

Investi par les partisans de l’EI pour se définir, se donner à voiret agir en ligne, le concept d’étrangeté est ici analysé comme la matrice idéologique du discours salafiste djihadiste. Avec ce travail, nous apportons donc un nouvel éclairage sur l’engagement djihadiste, ses ressorts et ses mutations

Docteure en Sciences du langage, Laurène Renaut a réalisé une thèse sur le cyber-militantisme salafiste djihadiste. Elle y interroge le concept d’étrangeté (ghurba) dans la construction identitaire des partisans de l’Etat Islamique sur les réseaux socio-numériques. Depuis, ses travaux se déploient autour de trois objectifs structurants :

  • interroger les modes d’organisation de communautés en ligne à la fois publiques et clandestines ;
  • analyser les pratiques militantes de groupes radicaux, engagés dans une guerre d’usure contre des acteurs humains comme non humains ;
  • faire émerger de nouvelles pratiques de recherche en SHS pour investiguer les espaces publics numériques.